Loyers trop chers et manque de logements accessibles dans les zones tendues : le mal est connu et les "remèdes" s’empilent sans grands résultats. Le prochain projet de loi sur le logement prévu avant la fin de l’année sera le cinquième en cinq ans (Loi Duflot en 2013, lois Lamy et ALUR en 2014, loi Egalité et citoyenneté en 2017). Concédons que si la situation ne semble pas meilleure qu’il y a cinq ans pour les 4 millions de mal-logés, il est possible qu'elle ait été pire sans les mesures contenues dans ces lois et leur application. Cependant la pénurie de logements sociaux dans de nombreux bassins d'emplois maintient une situation d'urgence persistante, et la stratégie logement présentée le 20 septembre est très loin de pouvoir y remédier efficacement et rapidement. Or cette pénurie se traduit par des loyers élevés dans tous les segments du parc locatif, même si les chiffres récents montrent qu'ils atteignent, au moins temporairement, un plafond imposé par les limites de la solvabilité des locataires, et freine les recrutements des entreprises qui ont besoin de main d'oeuvre pour leur développement. Et même si les propriétaires privés en bénéficient, cette pénurie se retourne contre eux lorsqu'il d'agit d'exécuter un jugement d'expulsion contre un locataire défaillant, car dans la plupart des cas elle ne peut intervenir sans solution de relogement.
Les solutions préconisées par les professionnels et les experts tournent autour d'une injonction, celle qu'il faut construire, construire encore et toujours. Et bien entendu tout faire pour faciliter cette construction qui est en même temps bonne pour la croissance, alimente l'activité du BTP et crée des emplois : déblocage de terrains constructibles, notamment publics, lutte contre les recours abusifs, assouplissement de contraintes réglementaires excessives.
En fait, la France construit : 300 à 400.000 logements bon an mal an, plus que la moyenne des autres pays européens. Mais force est de constater que c'est un plafond : le déblocage de terrains publics prend du temps et rencontre des freins, la réserve de terrains privés constructibles est de plus en plus réduite en zones tendues, les maires freinent aussi beaucoup de projets par des exigences et contraintes excessives, quand ce n'est pas par mauvaise volonté manifeste pour satisfaire des électorats rétifs à la densification, notamment en logement social. Certaines réticences des élus locaux ne sont pas sans fondement car toute nouvelle construction fait venir une nouvelle population à qui il faut proposer des équipements collectifs : écoles, gymnases, services médicaux et sociaux, sans compter les transports quand on construit en périphérie ! Le gouvernement qui de plus restreint les dotations aux collectivités locales ne peut donc s'attendre à une accélération spectaculaire des projets de nouveaux logements, même avec une 3ème couche de mesures en faveur de la libération de terrains, contre les recours abusifs (après toutes les mesures prises, on s'étonne qu'il en ait encore...) et de "simplification des normes inutiles", dont l'expérience a déjà montré la résistance, tout simplement parce qu'elles sont demandées par la société (sécurité, accessibilité, performance énergétique, etc. Sur tous ces plans, à force de gratter, on est comme on dit "à l'os" ! Faire croire à un choc d'offre avec cela revient à croire à des contes pour enfants ou à se moquer du monde !
Et quand bien même la construction bénéficierait d'un coup de fouet avec le nouveau plan, on imagine les décennies qu'il faut pour que l'afflux de nouveaux logements déstabilise suffisamment les marchés immobiliers tendus pour faire drastiquement baisser les prix ! Car de surcroît, si on construit beaucoup, ce n'est pas forcément là où il le faut, et pas forcément le type de logements nécessaires. Voir par exemple les programmes en Pinel qui sortent en zone C parce que les maires ont fait le "forcing" pour leurs promoteurs et constructeurs locaux...
En fin de compte, le nouveau plan logement ne contient qu'un type de mesures susceptibles d'avoir des effets tangibles, à savoir celles qui visent à permettre des économies budgétaires : baisse des APL du secteur social, recentrage du Pinel et du prêt à taux zéro, restriction du crédit d'impôt transition énergétique. Mesures faciles, mais qui vont toutes freiner le "choc d'offre" souhaité, voire même réduire le rythme de la construction et de la rénovation des logements, le contraire en somme des incantations entendues... Les bailleurs sociaux sont sommés de faire des économies en rationalisant les loyers demandés aux allocataires d’APL, et de contrôler la sous-occupation des logements une fois tous les 6 ans. Les loyers des HLM seraient trop chers et mal gérés, et les bailleurs sociaux auraient largement les moyens de participer à l’effort national demandé par le gouvernement. Des efforts dont sont épargnés les bailleurs privés ! Pas étonnant dans ces conditions que les professionnels de l'immobilier soient enthousiastes, en attendant le prochain plan lorsque les résultats de celui-ci auront déçu comme il est hélas probable...
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