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Logement : la mécanique infernale des expulsions Le 15/3/2010
UI - Actus - 15/3/2010 - Logement : la mécanique infernale des expulsions
Ce 15 mars prend fin la trêve hivernale des expulsions de locataires, au grand dam du collectif d'associations qui manifestait samedi pour un moratoire déjà refusé par le secrétaire d'Etat en charge du logement. Selon la Fondation Abbé Pierre, 105.000 ménages ont vu leur bail locatif résilié par une décision de justice, soit une progression de 47% sur les dix dernières années. Elle craint que l'année 2010, dans un contexte de très forte crise économique et sociale, ne soit sur ce plan catastrophique ! La Fondation constate aussi que les expulsions sont, contrairement aux idées reçues, de plus en plus exécutées (+84% en 10 ans de décisions accordant le concours de la force publique, ce que corrobore une enquête réalisée par l'ADIL du Gard sur le parcours logement des locataires menacés d'expulsion dans ce département. Edifiant !

L'application de la loi "Dalo" en question



Selon l'INSEE, en 2006, 1,8 million de personnes étaient en difficulté de paiement dont 500.000 avaient déjà deux mois de loyers impayés. La situation ne s'est certainement pas améliorée. Chaque année, plus de 100.000 décisions de justice d'expulsion sont prononcées, et plus de 10.000 expulsions sont réalisées avec l'aide de la force publique. Or, certaines touchent des familles reconnues prioritaires par les commissions du droit au logement opposable (DALO).

Le comité de suivi de la mise en oeuvre de la loi du même nom a adopté le 12 mars une motion demandant aux pouvoirs publics de mettre fin aux expulsions de personnes prioritaires pour un relogement, parlant de "dysfonctionnement de l'Etat".

Dans des propos rapportés par l'AFP, Paul Bouchet, ancien président d'ATD Quart-Monde et membre de ce comité dénonce l'absurdité selon laquelle l'Etat déloge alors qu'il doit reloger selon la loi... Le sénateur UMP des Yvelines Dominique Braye, également membre du comité, dénonce "un gâchis monumental d'argent public", alors que 18% des personnes qui font un recours DALO le font au titre de menaces d'expulsions.

Craignant une fois de plus un tollé des milieux proches des propriétaires privés, le gouvernement ne veut pas entendre parler de "moratoire". "Ce serait un très mauvais signal" envoyé aux "propriétaires publics comme privés", a déclaré à l'AFP le secrétaire d'Etat au Logement, Benoist Apparu, qui met en avant le risque, s'il cédait à la tentation de suspendre les expulsions, de "restreindre l'offre de logement pour les personnes modestes ou en difficulté" dans un marché déjà très tendu, selon ses propos. Alors il essaie tant bien que mal de rassurer : il ne s'agit pas, dit-il, de "mettre des gens à la rue" : une solution "d'hébergement adapté" doit être proposée à toute personne ou famille expulsée, promet-il, sachant pertinemment que dans des régions comme l'Ile-de-France ce ne sera pas possible.

Les associations contestent cet argumentaire en période de crise économique et sociale, d'autant qu'il existe un fonds d'indemnisation des propriétaires auquel les préfets peuvent avoir recours, mais qu'ils ont reçu consigne de ménager : les indemnisations des propriétaires dont les locataires ne sont pas expulsés malgré une décision de justice s'étaient élevées à 78 millions d'euros en 2005, et sont tombées à 31 millions en 2008...

Du coup les accords d'octroi du concours de la force publique ont bondi de 84% en 10 ans, chiffre qui fait mentir l'idée reçue selon laquelle on n'expulse pas en France...


Profil type des ménages menacés d'expulsion



Autre preuve : celle apportée par l'ADIL (Association départementale pour l'information sur le logement) du Gard. Certes, ce n'est pas l'Ile-de-France, mais pour la première fois, sous l'impulsion nationale de l'ANIL (Association nationale pour l'information sur le logement) une départementale ADIL a collecté et traité des données sur une population de ménages expulsés ou menacés d'expulsion et a essayé d'en caractériser le ou les profils types, ainsi que le parcours judiciaire qui les a conduits dans cette situation.

Il en ressort quelques grandes données sur cette population :

- en premier lieu il y a une majorité de locataires du privé (56%) par rapport à ceux du parc social ;

- ensuite une ancienneté plus courte pour ceux du privé (moins de 4 ans majoritairement entre l'entrée dans les lieux et le commandement d'avoir à quitter les lieux (CQL), signe dit l'étude d’une "réactivité procédurale plus rapide, face à l’impayé de loyer, chez les bailleurs privés" ; une ancienneté par contre plus étalée dans le social, l’ancienneté d’occupation s’étendant de moins de 2 ans à plus de 10 ans ;

- une dette plus récente pour les locataires du parc privé : plus de 80% d'entre eux sont assignés à comparaître pour une dette d’une
ancienneté inférieure à 2 ans, et la moitié d’entre eux le sont pour des impayés ayant débuté moins d’un an avant qu’ils ne soient assignés ; dans le parc social, un quart des ménages assignés le sont pour un impayé de loyer ayant débuté plus de deux ans avant l’assignation, tandis qu’aucune procédure n’a été engagée pour une dette d’une ancienneté inférieure à 6 mois...

- un taux de comparution également différent suivant le parc : 43% des ménages du parc privé sont comparants à l'audience contre seulement 35% des ménages du parc social ;

- des décisions de justice très fermes contrairement aux idées reçues : près de 60% sont des décisions d'expulsion sans délais (il est vrai que 80% des ménages concernés ne sont pas comparants), un petit tiers obtient des délais sans expulsion et 10% écopent d'une expulsion avec délais ;

- des procédures plutôt rapides là aussi par rapport aux idées reçues : en moyenne 6 mois entre l’audience et le commandement de quitter les lieux, 10 mois entre l’audience et la réquisition de la force publique, 16 mois entre l’audience et l’octroi de la réquisition de la force publique, et 19 mois en tout entre l’audience et l’expulsion avec concours de la force publique !


Que deviennent les ménages menacés d'expulsion ?



Très peu d'informations sont en général disponibles sur les ménages faisant l'objet d'une procédure d'expulsion, leur destination des immédiatement après qu’ils aient quitté leur logement n'étant pas "tracée" pour enquêter. L'étude de l'ADIL du Gard n'en a que plus de valeur ! Les enquêteurs ont étudié 202 ménages et ont notamment pu suivre avec précision le parcours logement de 93 d'entre eux ; il en ressort les données suivantes :

- 14% ont réussi à se maintenir dans les lieux : 3 seulement dans le parc privé, les autres dans le parc public ; tous ont été
rétablis dans leurs droits par la signature d’un nouveau bail, (avec le concours financier du FSL pour l’une de ces personnes) ; la plupart par protocole d'accord "Borloo", 3 par apurement de la dette et signature d’un nouveau bail, 1 par mesure d’appel et abandon de la procédure par le bailleur, les autres par mesure d’accompagnement social...

- 51% des ménages étudiés ont quitté le logement avant même la demande de réquisition de la force publique, la tentative d’expulsion, effectuée par un huissier de justice, ayant provoqué le départ quasi- immédiat du logement ;

- 25% ont quitté les lieux au moment de la demande de réquisition de la force publique : lorsqu’il y a une telle réquisition, la police prend contact avec le locataire concerné, afin de l’informer (en général 15 jours avant) de leur date programmée d’intervention, et tenter de le convaincre de quitter le logement avant qu’elle n’ait lieu, ce qui produit visiblement des résultats ;

- 9 % des ménages concernés par la menace d’expulsion ont quitté leur logement après l’octroi mais avant l’expulsion effective avec concours de la force publique ;

- seuls 15% des locataires ayant quitté leur logement sont partis à la date programmée d’expulsion, avec l’intervention effective de la force publique...


Quant à l'après départ, spontané ou forcé, il est encore plus paradoxal : l'idée que ces locataires sont relogés tant bien que mal dans le logement social est tout sauf vérifiée :

- si plus de deux tiers des ménages enquêtés ont retrouvé un logement autonome, une grande majorité d’entre eux a trouvé ce logement dans le parc privé. Seuls 12 ménages sur 202 ont été relogés dans le parc social ! D’une part, certains bailleurs sociaux ont beaucoup de réticence à loger une personne stigmatisée par l’impayé de loyer, à fortiori lorsqu’il a donné lieu à une procédure d’expulsion ; d’autre part, les délais d’attente d’un logement social ne permettent pas de répondre, par la voie de droit commun, à une situation d’urgence telle que celle des personnes menacées d’expulsion...

Les ménages menacés d’expulsion ont-ils eu recours aux recours ouverts par la loi "DALO" ? Là aussi les chiffres laissent songeur : sur les 202 ménages enquêtés, ils n’étaient que 15 à avoir tenté d’exercer leur droit au logement (mais l'étude reconnait que la commission de recours amiable n’a été installée qu’au 1er janvier 2008). La commission s’est prononcée pour 13 de ces ménages, dont 6 se trouvaient déjà dans le parc social tandis que 9 étaient logés dans le parc privé.

A noter toutefois que l'enquête se passe dans le Gard. Les chiffres nationaux du "DALO" sont tout autres : selon les derniers chiffres du comité de suivi datant de fin décembre 2009, 11.291 ménages n'ont pas reçu d'offre de relogement dans le délai légal (deux mois) dont 10.034 en Ile-de-France (7.565 à Paris). Fin juin 2009, ils n'étaient que 7.254 et 6.502 (et 5.509) respectivement. Pour l'hébergement, ce chiffre était de 1.714 France entière et 1.239 en Ile-de-France (mais 0 à Paris). En juin, ces statistiques étaient de 1.234 et 935 respectivement. Les membres du comité de suivi se félicitent néanmoins que 18.380 ménages aient été relogés et 1.900 hébergés depuis le début de la procédure.

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